On a rencontré un Faussaire Calembourgeois...

Blase fait dans le pastiche, mais sans les glaçons.

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Nous à VICE on a bien kiffé tes tableaux, parle-nous de toi.

Merci déjà de vous êtes intéressés à mes conneries. Ça sort en papier votre truc? Que j’en envoie l’article à ma mère. Donc, j’ai 33 ans j’habite Paris, je fais du détournement de tableaux et je vais bientôt payer pour ça.

Dans tes tableaux il y a souvent des références à la drogue, tu prends quoi ?

Coucou Maman ! Oui bien-sûr j’ai toujours sur moi des chewing-gums à l’ayawaska et de bonnes adresses pour pécho du crack fermier.

Tu détournes des tableaux anciens, souvent des portraits .C’est pas un peu irrespectueux pour vos ancêtres, votre patrimoine français, tout ça,  non ?

Tu oublies un petit détail : si j’ai eu ces tableaux entre les mains c’est bien que personne n’en voulait. Sous-entendu : celui qui se fiche du patrimoine, de ses origines, ce n’est pas forcément celui qu’on croit. Pour te la faire courte : mes parents étaient brocanteurs. La plupart des gens qui leur vendaient des choses venaient d’hériter. Ils liquidaient la maison de leurs parents et tout ce qu’il y avait dedans sans même prendre le temps de trier. C’est moche, mais les gens préfèrent le fric aux souvenirs…

Donc du coup on se retrouvait avec des meubles aux tiroirs remplis de photo de famille. Gamin, je trouvais ça pas génial que ces photos finissent à la déchetterie. C’était comme mettre quelqu’un à la poubelle ! Alors, j’ai commencé cette collection étrange, j’ai toujours plusieurs boîtes à chaussures remplies de photo de gens que je ne connais pas. Avec ces tableaux que je récupère et que je détourne, c’est un peu la même philosophie. Je refusecette finalité, cette deuxième mort. Je les remets dans le circuit.

Pour ce qui est du patrimoine culturel français, je rappelle juste quependant plus d’un siècle, à grands coups de containers, on vous a vendu notre patrimoine à vous les Américains…Et personne n’en avait rien à foutre! Maintenant qu’on a dilapidé toute la déco et que votre dollar est faible, on vend nos châteaux au Qataris et aux Chinois. La France c’est devenu un peu une sorte de squelette, à qui on aurait arraché les dents en or. Ouais je sais, je bourre un peu…

Après ta première expo t’as eu des emmerdes. De quel genre et pourquoi ?

D’abord, j’ai eu une asso homo sur le dos pour mon Lyautey et sa paire de couilles. Si je n’ai pas eu les curés à mes trousses pour ma bonne-sœur priant devant un gode ça tient du miracle. Ah oui et on a aussi du décrocher la petite moudjahidine qui va à l’école avec sa ceinture d’explosifs pendant l’expo…mon galeriste ne voulait pas avoir de fatwa sur la gueule…

« Y en a qui chient dans leurs frocs , moi je chie dans les FRACS ». Elle est de toi celle-là ?

Et j’en suis pas peu fier…

Tu cherches vraiment les emmerdes en fait ?

C’est notre époque qui veut ça. Tout est devenu clivant, la confusion grossièreté / vulgarité n’a jamais été aussi floue dans la tête des gens. Le politiquement correct est directement lié à notre société de consommation et ça a engendré malheureusement dans la foulée son lot d’extrémismes paranos. Pour moi la grossièreté c’est le dernier espace de liberté un peu sincère qui reste à notre portée. Chacun son truc…

Toi par exemple, ton espace de liberté c’est ta casquette de routier et ta chemise bûcheron,  grâce à cela tu revendiques fièrement que t es un gros branleur, mais au fond j’en suis un aussi.

OK… On te dit souvent que tu copies Banksy, ou que ce que tu fais a déjà été fait?

J’aime beaucoup Banksy,  il a eu le mérite de décloisonner beaucoup de choses et c’est tant mieux. Sur ce qui a été fait ou pas, sans jugement de valeur bien-sûr : dans l’histoire du journalisme, toutes les questions bêtes ont déjà été posées et pourtant ça ne t’empêche pas de le faire en ce moment même. [Rires] 

J’ai commencé à détourner des tableaux en tout anonymat, sans les signer. C’était amusant, et puis il faut bien payer son loyer. Je n’ai pas eu de formation de restaurateur à proprement parler maisj’ai eu la chance de croiser un vieux loup de mer qui m’a montré les bases du métier. Je me suis mis à acheter des tableaux explosés, quasi-détruits, de manière compulsive…Je ne regardais même pas le sujet mais juste leurs pathologies.

Forcément, au bout d’un moment je me suis retrouvé avec tout un tas de tableaux merdiques sur les bras. J’ai donc commencé à les agrémenter en incluant des choses diverses. Rien d’illégal bien-sûr, mais pas politiquement très correct non plus. Et ça a commencé à marcher… Jusqu’au jour où un galeriste m’a proposé d’exposer mon travail, à la condition de le signer.

Et comment tu procèdes? Tu vois un tableau et tu te dis : “Tiens je vais faire ça avec celui-là” ?

Il faut effectivement tomber sur un sujet inspirant. Après pour tout te dire, je sais pas trop pourquoi une image fonctionne plus qu’une autre, il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu, c’est le moment de l’interview où pour paraître sérieux il faudrait citer Derrida, la French Theory etc... Mais laissons ça à d’autres… Pour ma part je dirais simplement que face à un tableau si tu te dis: « celui-ci tient debout », c’est que c’est bon.

Bon, à côté de ça, il y a pas longtemps j’ai fait un rêve un peu chelou où Daniel Arasse (ndlr : historien de l’art) revenait d’outre-tombe pour me botter le cul en me traitant de petit con, et ça finissait en grosse cuite dans un bouchon lyonnais … va comprendre ?

Donc le point essentiel, c’est que le tableau te plaise ?

Oui, après ça ne marche pas avec tous les tableaux, il faut passer à travers les contraintes de la peinture sans que ça se voit. Trouver le bon angle d’attaque, la vanne qui s’intègre etc… Souvent, le truc c’est l’économie de moyen, lepetit détail qui va radicalement changer la destination du tableau, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Prends par exemple mon macchabée qui flotte par Helbut Ferdinand : au début, à  la place du mort il y avait un cygne. Avec ce corps qui flotte en premier plan mais volontairement discret, le tableau passe alors d’une scène de genre Napoléon III très “cul-cul la praline” (en français dans le texte) à un tableau tragique et inattendu. 

Et sans vouloir faire de parenté à la con, il y a un artiste, un italien Maurizio Cattelan que je trouve excellent. Il joue principalement sur cet effet rhétorique, qui consiste à manipuler notre sensation face à quelque chose qui a l’air normal, crédible, admis, jusqu’au moment où le cerveau percute qu’ il y a un truc. La mise en scène devient importante pour obtenir cet effet. Ça ne dure pas longtemps mais c’est génial de voir les gens réagir à cela. Perdus,  ils cherchent un regard, un soutien, ils veulent la confirmation qu’on est bien en train de se foutre de leurs gueules, un peu comme lorsque l’on sort de l’isoloir un dimanche d’élection. Prend un de mes tableaux, met le chez toi au milieu du reste, invite tes potes à dîner, dis rien surtout, tu verras…

Au bout du compte, essayer de gagner sa vie tout en faisant marrer ses potes, je trouve ça super élégant comme mode de vie. C’est pour cela que je m’accroche.

T’es un comique en peinture, une sorte de Jimmy Fallon en croûte ?

Pas vraiment. Moi l’humour je n’ai jamais trouvé ça très drôle. Par exemple toi,  tu te fais passer pour un journaliste qui bosse pour Vice alors qu’en-fait, tu n’es qu’un putain de dictaphone sur mon portable à qui je dicte cette fausse interview.

Cordialement,

BLASE

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