Le monde de demain selon Blase

Interview de SoonSoonSoon

Avoir abaissé la crise de la quarantaine à trente ans a permis de rêver d’autre chose que de fromages de chèvre dans le Larzac. Avoir une passion pour son métier devient un but concret et non un fantasme.
— Blase
 

BLASE (de « blasphème ») – est un artiste-hacker spécialiste du détournement et de la restauration de tableaux. Il collectionne les tableaux de maîtres oubliés en piteux état (les tableaux, pas les maîtres), qu’il restaure en les détournant : un slip pour un guerrier grec, un rail de coke pour un notable de province, un cadavre qui flotte à la place d’un cygne près de bucoliques canotiers… Il leur insuffle un sens nouveau, décalé, souvent irrévérencieux, voire carrément trash. C’est l’un de ses tableaux que nous avons choisi pour illustrer la couverture du prochain Soonoscope. Il est actuellement exposé à la Galerie Petite Vivienne.

  • Quelles sont, selon toi, les trois tendances à l’oeuvre aujourd’hui et qui font le monde de demain ?

D’abord le retour de la valeur travail : la notion de travail était galvaudée mais elle reprend un sens positif et une légitimité, comme une forme de contestation au bordel ambiant. On s’est rendu compte que consommer n’était pas plus épanouissant que de produire, et on voit de plus en plus de gens qui renoncent à leur job et changent de filière. Ce n’est plus être un looser ou un baba-cool que de sortir volontairement de sa zone de confort, au contraire. Avoir abaissé la crise de la quarantaine à trente ans a permis de rêver d’autre chose que de fromages de chèvre dans le Larzac. Avoir une passion pour son métier devient un but concret et non un fantasme. J’aimerais un jour entendre aux infos qu’un fabricant d’anxiolytiques a fait faillite, faute de clients !

Deuxième tendance : le « moins et le mieux », ou le ras-le-bol des chips sans sel à la graisse de poney. C’est une des conséquences de notre mode de vie : on rationalise notre consommation en voulant plus de transparence sur le mode de production, et en échange les consommateurs que nous sommes veulent bien « essayer » de consommer « moins et mieux ». Les industriels ont compris la forte valeur ajoutée de ce discours. Du coup on est aveuglé par cela. Mais la majorité des démarches qui vont dans ce sens restent des effets de manches, le but étant uniquement de maintenir les ventes. S’il le faut, MacDo ferait des télé-réalités sur ses chaines de production…

  • Une troisième tendance ?

Oui : je pense qu’un nouveau modèle sociétal et démocratique se profile via les grosses franchises de l’internet. Internet permet très facilement de savoir qui veut quoi à un moment donné, rendant la voix de chacun plus effective. Si l’on joue le jeu à fond en adaptant les techniques de marketing à un système de référendum au niveau de la commune par exemple, on obtiendrait des résultats assez rapides et certainement foireux ; dans un premier temps.

Seul hic de ce système : les gens reprennent trop la main et ça, le politique n’y est peut-être pas prêt… C’est pour cela qu’il faudra bien veiller aux tractations à venir entre les gouvernements et les grosses franchises du net, car selon moi cette formidable liberté qui nous est offerte est bien trop importante pour qu’elle leur soit confiée à eux seuls. Pouvoir faire la révolution depuis son salon serait un signe fort de l’évolution du bipède que nous sommes.

  • On voit de plus en plus d’artistes faire du détournement, c’est une tendance dans l’art selon toi ?

Oui et non. En regardant ce qu’il s’est fait par le passé d’un point de vue formel, on voit du détournement en architecture au 16ème siècle en Italie, dans les collages de Jacques Prévert, dans une émission radiophonique d’Orson Welles, ou des installations contemporaines de Maurizio Cattelan. Francastel [sociologue de l’art, ndlr] dit que notre société est une société de l’image, de l’icône orthodoxe aux sérigraphies de Warhol. Il n’a pas connu l’essor d’internet qui a considérablement accéléré les choses de ce côté-là.

Maintenant plus que jamais, une image n’a pas le temps de s’imprimer sur la rétine que l’on a déjà zappé sur la suivante. Seulement, notre cerveau aime les images connues, ça le rassure. En détournant, les artistes jouent donc sur l’effet cognitif. Vous pensez avoir compris le sens de l’image, que celui-ci se dérobe au moment même où vous avez compris le piège. C’est une interaction en deux temps qui fonctionne très bien. On peut retrouver cet effet, dans des vidéos virales, « pseudo amateur » alors qu’en réalité une demi-douzaine de personnes ont planché sur le truc pendant 3 mois.

  • En quoi te différencies-tu des autres artistes ?

Je me différencie surtout parce que les autres sont particulièrement mauvais ! Non sérieusement, peut-être par mes méthodes de travail : j’ai pris une voie un peu laborieuse, où il n’y a pas de « Control + Z », pas de gomme magique. Je travaille sur de vrais tableaux anciens que je détourne avec une technique illusionniste.

Je me retrouve entièrement dans ce travail : être irrévérencieux alors que j’essaie de sauver le tableau du purgatoire. Certains diront que peu importe l’outil, peu importe que l’image ait été faite sur Photoshop ou à l’huile, du moment que l’image fonctionne. C’est vrai en partie. Mais ce serait passer à côté de beaucoup de choses essentielles.

Sans faire le vieux réac’ (je n’ai que la trentaine), comparer la plupart des choses produites actuellement en imagerie numérique avec de la peinture, c’est comme comparer le vrai sexe à des plaisirs solitaires, ou une béarnaise faite maison avec de la sauce industrielle. Mais que voulez-vous ma pauvre dame, il y aura toujours plus d’acheteurs que de connaisseurs…

  • Quel a été ton dernier effet « waouh » ?

New-York, l’été dernier. J’ai pu ressentir une vraie énergie dans cette ville, ce sentiment où tout paraît possible, trop peut-être. Là-bas, le travail procure de la fierté, tout le monde est dans le même bateau et tous rament comme des dingues. Que ce soit dans des «no-go zones » ou dans les jolis quartiers de Manhattan, on y croise toute sorte de profils : un vendeur de hot-dogs payé 3 $ et fier de son business qu’il a monté tout seul à force d’économies, un créa’ qui a tout plaqué même la drogue pour lancer sa ligne de mobilier de bureau estampillé « Vegan Friendly », etc. On a l’impression qu’il y a un ascenseur social qui fonctionne (dans les 2 sens). Je leur ai du coup piqué la formule du « pop-up store » pour mon expo galerie Vivienne : l’idée d’adapter des outils de l’industrie du tourisme pour une petite expo.

En repensant à ce que je viens de vous dire dans l’interview, je me dis : « Heureusement, mes tableaux sont beaucoup moins chiants que moi ! »

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Avec son pinceau, blase ajoute des détails-chocs sur des « peintures chiantes »

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