PIMP MY PATRIMOINE

Article de Romain Salas pour So Good

Chiner de vieux tableaux d'exception, les restaurer pendant des mois, puis y introduire ici et là des détails crapuleux, c'est le métier de Blase, un antiquaire-restaurateur qui manie le détournement pictural avec l'audace d'un faussaire. De la Vierge en train de mixer sur sa platine à un troupeau de chèvres enlevé par une soucoupe volante, ce diable du pinceau a plus d'un tour dans sa palette.

Peux-tu nous décrire ton mode opératoire ? 

La première étape, c'est l’acquisition. Fils de brocanteur, j'ai grandi autour de vieux objets en tout genre. J'ai ainsi acquis un œil pour cerner au premier regard les belles compositions, souvent du XIXe siècle d'ailleurs. Au début, je chinais aux puces, maintenant j'ai la flemme, je vais essentiellement dans des foires professionnelles.

Seconde étape, la restauration: je nettoie l'œuvre, la dépoussière, parfois je la réentoile car le maillage s'est érodé. Puis je repeins certaines zones. Il faut y aller mollo, un mauvais coup de pinceau peut tout anéantir. Il manque souvent le cadre, j'en cherche donc un aux bonnes dimensions et de la bonne époque, parfois ça prend un temps fou. Une fois qu'il est trouvé, une fille se charge de le restaurer. La restauration peut aller d'une dizaine d'heures de boulot à une centaine étalées sur six mois. C'est pour ça que je crée seulement une dizaine d'œuvres par an: chaque tableau est un cas d'espèce.

Troisième et dernière étape, le détournement. J'ai commencé par rajouter des trucs pour faire marrer mes potes, des détails qui se fondaient bien dans le décor. Puis j'ai commencé à ajouter des trucs anachroniques, une visière de protection Covid par ici, une trottinette électrique par là. Des éléments modernes qui changent le sens de l'œuvre. Ça me faisait marrer de voir les gens bugger devant mes tableaux.

Tu penses quoi, des retoucheurs à la sauce Photoshop ?

Comparer mon travail avec celui d'un retoucheur Photoshop, c'est comme comparer ton neveu qui joue sur FIFA et un joueur de Ligue 1. Maîtriser Photoshop demande un mois de tuto, moi, ce que je fais actuellement m'a demandé une dizaine d'années. Et puis dans le détournement artisanal, il n'y a pas de contrôle Z, on ne peut pas tricher avec le réel, seulement jouer avec. Cela nécessite énormément de compétences, il ne suffit pas de faire une formation ou même une école de restauration pour faire ce que je fais.

D'ailleurs, j'ai tracé mon chemin tout seul. Je suis sorti du système scolaire très tôt, j'ai bossé dans une casse de ferraille, puis je suis devenu marchand de tableaux. Mais je n'avais pas les moyens d'en acheter, donc je prenais ceux qui étaient abîmés et je les restaurais. C'est un processus laborieux, très lent, qui réutilise de vieux tableaux qui, sinon, auraient terminé à la benne. En fin de compte, c'est écolo à la racine, sans pour autant se penser écolo. L'écologie à l'ancienne, en somme.

Est-ce que ton travail est politique ?

Sortir des outils numériques, c'est politique en soi. On sort de la retouche permanente, de l'esthétique normée, on entre dans la chair de la toile. Pour les détournements, je ne les envisage pas d'une manière politique, mais certains le sont malgré eux, tel le cardinal auquel un gamin fait une fellation, ou la vieille dame qui porte un écriteau "non essentiel", comme si elle partait à la casse. Mais je ne souhaite pas rendre mon travail politique. J'ai mon écriture, mon coup de pinceau, ma personnalité, et c'est déjà pas mal. J'ai été très marqué par le côté irrévérencieux de Maurizio Cattelan, par exemple la banane qu'il a collée à un mur et vendue 120000 dollars à un collectionneur privé, ou encore ses toilettes en or massif qui raillaient les 1% les plus riches. Cette dimension satirique m'inspire beaucoup.

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BLASE POUR “RÉALITÉ AUGMENTÉE”

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