L’original à un détail près
Article de Michel Verlinden pour Le Vif
Une crucifixion sur laquelle l’écriteau “INRI” est remplacé par le nom de la marque de colle Pattex. Un portrait en pied d’un cardinal vêtu de rouge sous la robe duquel, pour son plus grand plaisir, une “brebis égarée” officie de façon pas catholique du tout. Une petite fille, dont la bouche vermillon s’orne d’une plume renvoyant directement au pigeon acéphale serré contre son cœur, semble attendre qu’on lui donne le bon dieu sans confession. Un notable toise le spectateur en costume impeccable et... porte-jarretelles. Mise en garde: si on regarde trop vite les tableaux de Blase (Paris, 1980), il est possible de passer à côté des “twists anachroniques” qui en constituent la singularité. Toutefois, quand l’œil a identifié le détail qui tue, plus moyen de l’oublier, et surtout, plus moyen d’échapper à la critique au vitriol qui en découle - celle-ci étant administrée à une société hypocrite sacrant le règne des apparences. L’histoire de ce flibustier de la chose picturale est déroulée simplement et efficacement dans Réalité augmentée, un opus jubilatoire qui revient sur dix années de création par le biais de 60 œuvres grinçantes parmi les plus emblématiques de sa production. L’odyssée en question est celle d’un surdoué de la peinture, fils de brocanteur et restaurateur de tableaux de métier, en quête d’une pratique qui lui ressemble. Après avoir pendant longtemps modifié des toiles anciennes revendues dans des salles de vente ou des marchés aux puces sans jamais signaler la supercherie à quiconque, ce faussaire d’un genre particulier a décidé, sur les conseils d’un ami, d’endosser ses piratages. Après avoir séjourné quelque temps dans les limbes de sa vocation sans renoncer totalement à son métier de marchand, Blase s’est consacré entièrement à ces détournements qui lui prennent parfois plusieurs années. Entre facture classique et recontextualisation ultra contemporaine, cette œuvre se découvre aussi jouissive que salutaire.